Il dit que je ne supporte aucune violence. Qu’elle soit verbale ou physique, je ne tiens pas la route, je m’effondre beaucoup trop vite. Il me reproche de pleurer lorsqu’il crie, de chercher des refuges et de ne pas affronter la violence quotidienne. Il me ressort cette histoire, il y a quelques mois, une fille m’avait agressée en pleine rue, je n’avais pas vraiment su quoi faire, je ne voulais simplement pas entrer dans son jeu, ne pas hurler au milieu des passants, ne pas la gifler comme elle venait de le faire contre moi, rester hors du cercle de la violence. J’étais entrée seulement dans un café, le temps de me remettre un peu d’aplomb, j’étais repartie. C’est tout, et je n’ai pas considéré que j’étais « faible » ou idiote de me laisser faire. Ce soir mon frère dit que je suis une femme faible prête à se laisser marcher sur les pieds, incapable de se faire respecter, j’aurais dû répondre, réagir, et puis quoi, lui en retourner une, me faire détruire le visage, rester à terre ? Je refuse ça, je refuse cette violence, je suis une femme et pas un mec qui n’a qu’une envie, celle d’en découdre. Oh j’aurais bien aimé naître dans le corps d’un garçon, avoir mes bras pour me défendre, pouvoir défoncer les types qui m’emmerdent, j’aurais été une vraie guerrière. Mais je suis femme, je pleure, je reste choquée par les coups, le sang, les garçons à terre.
Il y a presque deux ans, en juin sûrement, rue-de-la-soif, Fix avait provoqué un type, je crois que c’était seulement par plaisir, par envie de se défouler, il l’avait frappé, tous étaient venus l’aider et il y avait du sang partout, le bitume couvert de traces chaudes rouges gluantes, j’étais choquée, je tremblais, ils m’avaient faite courir pour que la police ne nous voit pas, et l’un avait dit « mince, ce con a foutu du sang sur ma chemise neuve ». Je venais de les voir mettre un type dans un sale état, et eux se préoccupaient de l’état de leurs chemises ?
C’est un truc de mec tout ça. C’est une violence que je ne connais pas, que je ne comprends pas parce que je n’en ai aucune expérience, aucune maîtrise. Hier mon frère a hurlé, m’a tellement mal parlé que oui, j’en tremble, j’en attrape des spasmes, je n’entends plus rien, je suis blessée, je m’en vais et je me réfugie chez une amie. Et je préfère, je continue à croire au refus de la violence physique envers l’autre, je veux des réglements pacifiques et de la douceur et des protections ; ce n’est pas une fuite, ce n’est pas une dissimulation de la réalité, je sais aussi prendre sur moi ; je suis quand même la seule à suivre les garçons dans leurs luttes, à essayer de comprendre ce besoin d’exposition et de mise en danger, le corps masculin dans le monde, le grand défi permanent, sentir son corps exister, les coups marquant la chair donnant une consistance. Je les ramasse en miettes, et ça leur est égal. Je vais acheter du steryl-strip à la pharmacie, mais me demander pardon de tant de violence, ça ne leur vient jamais à l’esprit.