Je voulais à tout prix monter Noroise ce soir. Pour penser à autre chose, pour m’occuper l’esprit. Je tenais à monter à cheval, et puis bon, ma jument je dois m’en occuper, que j’aille bien ou pas. Alors je suis allée monter malade, fiévreuse, fatiguée et sans voix. Sans force. Je n’arrive pas à manger le matin, le midi un peu, le soir encore moins. J’avais déjeuné vers 13h, pas assez sans doute. Je me suis retrouvée devant les obstacles en ayant faim, pas loin de l’évanouissement. Noroise a beau être douce et adorable lorsqu’on s’occupe d’elle – une fois sous ma selle elle devient impitoyable. Ou très intelligente. Les chevaux, lorsqu’ils ressentent le mal-être du cavalier, en règle générale s’adaptent et se montrent plus dociles. Noroise fait le contraire. Lorsqu’elle me sent faible, absente, elle n’a qu’une idée en tête : en profiter, jouer, reprendre sa liberté. La détente s’est bien passée. Lorsque les chevaux ont commencé à passer les barres, Noroise s’est énervée. Coups de dos à chaque fois qu’un cheval sautait. J’ai eu droit à une séance de rodéo, comme celles dont j’avais l’habitude l’hiver dernier. Je reste en selle maintenant, elle ne peut plus vraiment me faire tomber dans ces cas-là. Mais sur la première barre je suis mal arrivée, la foulée n’était pas bonne, le premier saut a été déséquilibré et Noroise a dérobé devant le suivant. Je n’ai pas suivi son écart. J’ai glissé devant contre son encolure. Je suis tombée, violemment, de très haut, de Noroise qui était lâchée en coups de dos dans le fond du manège. Je ne me suis pas fait mal mais j’ai pleuré immédiatement- c’était les pleurs de la rupture, de la douleur et du manque, pas de la chute. Je suis remontée, mon visage plein de sable. Je suis retournée sur les obstacles. Noroise n’a pas arrêté de dérober, et je n’avais aucune force pour la conduire, pour faire barrage à ses écarts. Dans mes bras il n’y avait rien. Mon corps trop léger ne tenait plus. Je tentais simplement de rester sur son dos. J’ai fini par sauter le premier obstacle, de l’arrêt. J’ai été projetée sur son encolure, je n’ai pas pu suivre le second saut. De tout là haut, de deux mètres peut-être, je me suis vue partir vers l’avant, la tête en premier. J’ai touché le sol et Noroise est passée sur moi. Je me protégeais de mes bras. J’avais ma bombe et mon protège-dos. Je ne pouvais plus me relever. Je pleurais et je ne voyais plus rien. Le bas de mon dos était douloureux. Je me suis remise debout, tout doucement, avec Céline qui m’accompagnait. Céline qui savait si bien que je ne dors plus, que je ne mange plus, que je crève de douleur. Je ne suis pas remontée, j’ai laissé Diane reprendre ma jument qui a très bien sauté ensuite.
Je voulais monter à tout prix pour oublier, pour penser à autre chose, pour retrouver ma jument. Ma jument folle, ma beauté irraisonnable, ma guerrière. Je savais que j’étais vide, exténuée, très faible. Je sentais les vertiges, le besoin de me nourrir, la force absente. J’ai voulu monter, pourtant. Je suis rentrée ce soir la lèvre éclatée, du sang plein la bouche. Maintenant ma lèvre est bleue et gonflée. J’ai des bleus, des traces de toutes les couleurs et de toutes les tailles sur une jambe. J’ai un muscle de la cuisse élongué. Surtout, j’ai eu le coccyx frappé tellement fort que marcher, m’asseoir, me baisser ou me pencher est une douleur. J’ai voulu monter, à tout prix ; j’ai voulu monter, pour oublier. Je me suis blessée parce que je n’avais pas la force, parce que je n’aurais jamais dû. Je suis rompue, ma lèvre saigne tellement que je ne peux pas manger beaucoup plus, je porte toute la fatigue de la semaine et des nuits sans sommeil sur mon visage – ce soir j’ai eu peur, j’ai eu peur en tombant, j’ai cru mourir. Et peut-être que je le cherchais.
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