Parce que quand je n’ai plus d’issue, quand je me sens perdue, quand l’espoir disparaît – je n’ai que la possibilité de l’échappée, la possibilité d’oublier. Je dors pour ne pas penser. Je reste le plus longtemps possible à table avec mes parents. Je regarde des films fleuves trouvés sur l’étagère de dvds (Le Patient anglais). Je prends la voiture et je vais passer mes après-midis avec Noroise. Sur le trajet je roule vite, je veux n’être concentrée que sur la route, je tiens ferme le volant et j’appuie très fort, le moteur fait du bruit (j’imagine la Mustang Flashback GT ’67 de Steve McQueen), sur les routes de campagne où deux voitures ne se croisent pas sans ralentir je frôle les 120, je sais bien que c’est idiot, je sais bien que le jeu est dangereux, mais c’est la seule façon que je connaisse de me mettre en danger et d’avoir peur. Je ne suis pas un garçon, je ne peux pas me battre. J’aurais aimé être un mec juste pour me battre. Pour savoir ce que ça fait de mettre son poing sur le visage de quelqu’un. Pour sentir mon corps. Pour que sorte la violence autrement que dans les mots, les cris, les crises, les pleurs. C’est difficile et épuisant d’être une femme, d’aimer sans cesse à la folie, de ne pas connaître les demies mesures, de se sentir vidée à chaque rupture. Je passe d’un calme extraordinaire à des moments d’énervement et d’angoisse irréparables. Je dérape. Je pleure, je ravale mes larmes, je ris, j’éclate en sanglots. Une parfaite cyclothymique – j’ai cherché la définition exacte : CYCLOTHYMIE (n.f. du grec kuklos et thumos « état d’esprit ») anomalie ou constitution psychique qui fait alterner les périodes d’excitation (instabilité, euphorie) et de dépression (apathie, mélancolie). Avec toi la même chose : je me sens d’une douceur inouïe, j’ai envie de me donner, de t’attendre, de t’accompagner, de t’aider, de te protéger, de t’aimer – et soudain je t’en veux, je suis déçue, tu n’es pas à la hauteur, tu es désagréable, tu ne réagis pas comme je le voudrais, tu rentres dans mon jeu de la jalousie et de l’obsession, tu me tiens rigueur de ce que je ne contrôle pas et de tout ce que je déteste en moi. Je ne sais pas à qui va la faute ; cette situation est tellement compliquée. Je ne sais pas vraiment comment faire. Je ne sais pas comment l’amour devient amitié. Je ne sais pas si c’est même possible. J’y crois parce que nous avons tous les deux dit que nous voulions l’amitié de l’autre. J’ai relu tout ce que tu m’as écrit, nos trois mois d’amour dans des emails, j’ai tout relu et je ne comprends toujours pas pourquoi nous ne nous aimons plus. Je croyais qu’on s’aimerait malgré tout, je croyais qu’on s’aimerait même si la relation ne se réalisait pas. Il y a un mois encore tu disais : « j’ai hâte de te revoir mon amour ». Comment tes sentiments ont pu se retourner si vite ? Je n’en sais rien. Je ne comprends pas. Je subis. Je tais le désir, je tais le manque, je tais l’amour. Mes efforts en ce moment c’est ça. Ne plus dire que je t’aime. Ne plus croire à notre amour. Ne plus attendre. Ne plus espérer. Mes efforts ce sont d’abord ceux-là, et oui peut-être, trop souvent, j’ai des crises de jalousie, je deviens obsessionnelle, je cherche à tout prix à te retenir (alors qu’il faudrait laisser filer), mais je ne peux pas si tôt tuer tout l’amour que j’avais pour toi. J’ai besoin de temps, quand tu voudrais déjà que notre amitié soit parfaitement réglée, que jamais je ne m’inquiète. Il faut encore et encore que tu me rassures. Il faut que tu sois là. Il faut que tu me répondes. Il faut que tu agisses pour cette amitié. Je ne peux pas m’en sortir face à cette brutalité des sentiments, l’amour interrompu, l’amour éteint, l’amour interdit. Je crois aller plutôt bien, parce que je suis occupée, parce que les projets ne s’arrêtent pas, parce que j’ai l’énergie qu’il faut pour travailler, construire, réfléchir. Je vois mes amis, et j’ai l’air d’aller à peu près bien. Moi je sais que je suis rompue à l’intérieur. Je sais que je pourrais laisser aller et que je m’effondrerais. Je sais que je t’aime encore à la folie. Je sais que je suis au point de rupture. Je sais que si la fatigue lourde et permanente surgit – je plongerai. Je connais les abysses de ma tristesse. Je connais ces gouffres dont je ne ressors que difficilement. J’ai peur de sombrer. J’ai peur de ne pas y arriver avec toi, j’ai peur de perdre l’espoir, j’ai peur de tout abîmer, j’ai peur de ne pas réussir. J’ai tellement peur. Et il n’y aurait que tes bras pour me serrer et m’enlever ma peur. Mon amour, encore toujours mon amour. J’ai eu tellement confiance en toi. Je me suis tellement donnée, si vite, je t’ai tellement tout dit, j’étais là immédiate sans plus aucune protection, sans plus aucune retenue, j’étais là devant toi et je t’aimais et – tu m’as aimée, il paraît. Je ne sais même plus si c’était vrai. Est-ce que tu m’as aimée ? Est-ce que tu m’as aimée ? Dis, est-ce que tu m’as vraiment aimée ?
Je vais les faire les efforts nécessaires, je vais ravaler ma tristesse, mes angoisses, mon amour pas terminé, je vais tout rentrer en moi, ou plutôt tout exploser, tout faire jaillir, je vais l’éclater cet amour et je serai vide, je serai vide mais je serai prête pour autre chose avec toi. Cette semaine tout se joue : je n’écrirai pas, je ne parlerai pas, je resterai silencieuse jusqu’à ce que tu reviennes vers moi. Reviens. Reviens. Si tu m’oublies, je serai détruite. Comme dans la citation de Proust sur la première page de ton agenda. Notre chance est là : à moi de rester dans le silence, à toi de montrer que tu tiens encore à moi. A toi cette fois de trouver des mots, de re-sentir la douceur qui existait – le premier soir de juin, tu te souviens du premier soir de juin, est-ce que je l’ai écrit ça déjà ici, que tu étais venu à un rendez-vous anonyme, que tu ne savais pas que ce serait moi, que nous avions bu et encore bu aux Editeurs, que nous avions continué à la Soif, que nous ne pouvions pas nous séparer devant le métro, que tu tenais mes mains, que tu m’embrassais sur les joues sans te décider à partir, que tu mourais d’envie de m’embrasser vraiment ? Est-ce que tu t’en souviens de cette soirée là ? De toutes celles qui ont suivi… je t’aime, c’est si bête, je t’aime encore, je ne sais pas quoi faire, écrire, pleurer, crier, dire l’amour, dire l’amour, le dire à qui, tu ne l’entends plus, tu n’en veux plus, est-ce que j’ai le droit de t’aimer encore, est-ce que mon amour peut encore exister ?
Une fois encore, je te fais confiance. C’est toi qui vas décider. Je m’effondrerai ou je m’en sortirai.
Les après-midis, juste avant que la nuit ne tombe, j’ai passé des heures immenses avec Noroise, j’ai mis sur ses membres de l’argile, les mains dans la pâte grise humide, étalée sur ses tendons, j’ai mis des cotons et puis des bandes de repos, du goudron sur la sole de ses pieds et de l’huile sur ses sabots, j’ai mis les mains dans tout ça, dans les crins, dans les cuirs, dans la paille, dans l’eau, j’ai travaillé les têtes-au-mur, la longe en élastiques, les arrêts, j’ai parlé à Noroise, je lui ai tout raconté, et comme une folle gentille je lui ai dit mes secrets lorsque nous faisions le tour du Rouget, elle et moi à pied, elle avait de l’herbe plein la bouche et ses lèvres vertes dégoulinaient, je disais « ma belle ma chérie mon amour ma précieuse » et je lui murmurais qu’un jour tu viendrais, un jour tu la verrais. Ma jument me sauvera, dans tous les cas.
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