J’aurais aimé venir écrire plus tôt. Ca fait presque deux semaines, peut-être ? Je ne sais pas, le temps s’enfuit, j’ai l’impression de n’être qu’une passagère, je fais mille choses et tout m’échappe, rien ne se retient, je n’ai pas le temps de me retourner. J’avance tant que je peux en ayant parfois le sentiment d’être dépassée, le tapis sous mes pieds va plus vite que moi, je glisse, je me raccroche, je continue, j’essaie de rester debout.
Je suis sortie de la rupture. Il a fallu du temps, beaucoup de temps par rapport à celui que nous avions passé ensemble. Un mois de rupture, de discussions, de pleurs, d’incompréhensions, de cris et de jalousies, pour trois mois d’amour. C’est Jérôme qui m’a sortie de là. J’ai fait du chemin seule, j’ai fait du chemin en m’appuyant sur mes amies – ce sont elles qui pleurent aujourd’hui, l’automne n’est qu’un cimetière de coeurs blessés – mais je n’ai compris qu’en écoutant et réécoutant « la colère » qu’il y avait une alternative à la tristesse : la révolte. Lorsqu’on est abandonnée, on peut noyer la colère dans les pleurs et se sentir coulée, enfonçée, abattue, ne trouver le calme que dans le corps vidé de son eau, le corps même vidé tout entier, le corps inexistant. On tente la moindre démarche pour rattraper l’autre, le toucher à nouveau, lui faire comprendre notre douleur, lui demander de revenir. On s’agenouille, on s’abaisse, on se nie soi-même, on ne réclame que l’autre, on lui est toute entière donnée. Ou bien la colère peut se transformer en révolte, en une énergie qui redonne de l’élan, en un refus de la situation. J’ai été quittée – je ne vais pas non plus continuer à lui offrir un royaume, un royaume qu’il ne mérite pas, un amour qu’il a rejeté. Je veux dire que ça n’est pas acceptable. Que je ne peux pas me donner davantage avec l’espoir qu’il redonnera à son tour. Je ne peux plus donner à celui qui offre un mur. Je sais bien que j’ai la force, la foi, l’amour suffisants pour m’enfermer pourtant dans cette absurdité, je sais bien que l’amour ne s’éteint pas, que chaque jour je l’aime et pour des mois encore – jusqu’au prochain qui prendra cette place en moi – je sais bien que je pourrais l’attendre et tout supporter au travers de l’attente et de l’espoir. Jérôme m’a ouvert les yeux, Jérôme m’a mise devant la réalité – celle de la rupture, de l’amour qui ne circule plus qu’à sens unique, des forces que je perds à force de les donner – et dans la salle bruyante les mots couvrent tout, les mots me chavirent, les mots me blessent, les mots me plongent dans l’hébétude – « mon amour je suis partagé entre te protéger toujours quoi que tu fasses de moi dans cette vie de rêve, et la colère que tu me donnes de me laisser seul la nuit comme ça, j’oscille à ton égard entre la sainteté et la colère, mais je crois que j’aime trop la chair pour être canonnisé, et c’est ma colère, ma colère qui tient mes sourcils » – les gens autour parlent, dinent, rient, se sourient – je suis dans autre chose, je suis habitée, je suis bouleversée, la réponse enfin là se dessine – ce sera la colère.
Le lendemain dans un café de la rue Bonaparte, je suis défaite comme je ne l’ai pas été depuis longtemps – peut-être même que je n’ai jamais osé sortir dans Paris cachée sous tant de pulls et derrière mes lunettes de soleil, les cernes me rongent le visage, j’ai la peau blanche d’une fille anémiée, mes jeans sont trop grands, mes mains longues, transparentes aux veines allumées, les doigts comme des brindilles prêts à se casser net si personne ne les réchauffe. Jérôme dit que j’ai le visage de la Renaissance italienne, le visage allongé, la peau laiteuse, la fragilité marquée sur le corps entier, les muscles raidis, les jambes marquées d’ecchymoses, la peau coupée par la lame du rasoir, je me protège derrière mes bras repliés. Je parle un peu, je dis doucement, toujours doucement ce qui arrive, ce qui m’arrive, ce qui m’échappe, ce que je ne comprends pas, et Jérôme apporte des réponses, Jérôme me rassure et me donne accès à la colère, j’ai droit à cette colère-là, j’ai le droit de me révolter contre l’abandon, même si ça n’est pas sa faute, même s’il n’a pas voulu me faire ce mal – j’ai été tellement blessée. Je suis blessée chaque jour, je porte la douleur en moi, cette cicatrice que tout le monde a voulu voir, cette cicatrice qui se refermera aussi, si lentement, si imperceptiblement, mais qui ne s’effacera pas. J’ai eu mal dans ma peau, j’ai eu mal dans mon ventre, j’ai voulu tellement vomir, m’abîmer, me détruire, j’ai voulu supprimer ce corps qui n’était qu’une douleur, chaque matin se réveiller avec la douleur vrillée au ventre, alors peut-être il aurait mieux valu ne plus se réveiller.
J’ai repris pied. J’ai repris pied par la colère et par ce qu’il a finalement avoué. J’ai repris pied parce que ce que je croyais n’était pas totalement faux, parce que j’avais raison de croire aux sentiments fous et absolus, à la rencontre rare et unique. Je savais exactement la passion qui nous avait ravagés, je savais comme tu m’avais aimée, je savais comme tu étais devenu fou de moi – tu refusais de reparler des mois écoulés, tu répétais inlassablement que tu ne m’aimais plus – mais tu as fini par dire la vérité des sentiments partagés. J’ai cru parfois que j’avais été seule à me donner, seule à aimer, seule dans la folie de notre amour – non, tu étais là comme moi, tu n’en revenais pas non plus de cette rencontre exceptionnelle, tu n’en revenais pas des heures à parler ensemble et seulement m’embrasser pour que je ne puisse plus parler, et les nuits hors du monde, les nuits hors du temps, les nuits que personne ne nous volera, que personne ne reproduira, que personne ne connaîtra. J’ai cru que tu m’avais trahie, lésée, j’ai cru que tu lui offrirais bientôt la même chose qu’à moi, que rien n’aurait compté, que tout notre amour effacé – mais non, tout est vrai, tout a existé, et cette histoire nous appartient.
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