jeudi 14 octobre 2010

Tender is the night.


C’est terminé. On est allés jusqu’au bout. Je l’ai poussé jusqu’à l’extrême limite. Détruire pour qu’il n’y ait plus rien, pour que l’espoir s’effondre, pour être forcée à trouver autre chose. J’écris ça encore ici, je n’écris que ma rupture sur ce journal depuis des semaines, peut-être que ça n’y a pas sa place. Mais je n’ai pas d’autre endroit où l’écrire. Et j’ai envie de crier ici, j’ai envie de m’exposer, j’ai envie de montrer comme on peut être belle et amoureuse et insouciante – le mois suivant seule et abattue, enfoncée dans la tristesse, les nuits sans sommeil, les vertiges permanents, l’envie de vomir. J’ai écrit tant de fois, partout, souvent, tout le temps, l’amour fou entre nous, les nuits éternelles, les corps mélangés, la vie impossible l’un sans l’autre – il y a l’autre versant. Il y a le côté lamentable, il y a tout ce qu’on n’ose pas avouer, le ridicule, le mépris, l’agacement, l’exaspération. Au matin le visage défait, la compassion qu’on attire à soi et ce regard est dégueulasse – l’amour fou un été et puis les insultes, l’irrespect, la colère, les mots plus hauts les uns que les autres. Ca n’est pas glorieux, ça n’est pas enviable, ni l’histoire d’amour magnifique, ni la rupture catastrophique à la suite, c’est juste une putain de dégueulasserie de la vie, et moi je suis enfoncée, je suis perdue, je n’existe plus, je ne me relève plus.

Il y a du thé vert dans ma tasse, des litres pour me remplir le ventre. Il y a « ce soir mon amour » toute la nuit en boucle. Devant l’armoire mes chaussures gris souris, celles que je portais le dernier jour où on s’est aimés, celles qui ont frappé les pavés de l’impasse des quatre vents. Quand j’ai joui debout contre un mur dans les rues sombres de Saint-Germain. Il y a le vide, le creux, le ventre fermé, l’envie de vomir, les notices de l’Avlocardyl dépliées sur la table de la cuisine. Mon corps est mort. Mon corps est trop vide. Mon corps ne vit plus. Mon corps ne ressent rien. La douleur parfois qui ressurgit, la douleur anesthésiante, mais rien d’autre. Le monde autour de moi, les couleurs, la ville, le soleil de l’automne, les lumières la nuit – rien, pas une émotion, pas de disponibilité pour ça, mon corps est fermé, mon corps n’a plus de sens. Les garçons – je les vois à peine, je les trouve fades, ils n’ont ni sa jeunesse, ni son exigence, ni son allure, ni sa beauté. Ils me regardent pourtant, ils me regardent traverser la rue trop fine dans mon jean, vacillante sur mes talons qui claquent dans la bibliothèque silencieuse, la dentelle noire en haut des seins, le ventre creux, les cheveux en cascade et mon corps perdu dans le long manteau noir. Même les filles regardent. Plus je suis triste, plus je suis en colère contre moi-même, contre le monde entier, plus la détermination se marque sur mon visage, plus je séduis. Et ça pour quoi ? Ca sert à quoi tous ces mecs qui regardent ? Quand il n’y en a pas un qui aura du courage, pas un que la folie n’effraiera pas, pas un qui ne fuira devant les exigences, la violence et la démesure cachée derrière la surface lisse et sexy ? Ils veulent l’apparence, ils veulent la chair extérieure, ils veulent prendre – aucun ne veut donner, aucun ne veut regarder à l’intérieur, aucun pour penser « je veux savoir ce qu’il y a à l’intérieur de cette femme, l’aider, l’accompagner, faire du chemin avec elle » – les garçons ont peur. Les garçons sont trop jeunes. Je parle de ceux qui sont autour de moi, de ceux qui préfèrent la facilité, les sentiments absents, je parle de Guillermo qui ne se préoccupe de moi qu’avec l’espoir qu’une nuit je me glisserai dans son lit. Où sont-ils les garçons qui s’engagent, ceux que l’amour n’effraie pas, ceux qui acceptent la passion débordante d’une femme sans limite, ceux qui ne débutent pas une relation en décidant qu’elle sera vouée à l’échec ? Où sont-ils ceux qui se laisseront porter par mon amour, ceux qui me feront confiance, ceux qui seront prêts à m’accompagner dans l’amour comme dans la tristesse, comme dans les crises, comme dans la panique et l’angoisse ? J’ai besoin d’un allié. Plus maintenant, plus tant que je me reconstruis, plus dans la solitude à apprivoiser encore une fois – un jour, un jour je voudrais trouver un allié.

2h, dans la cuisine il fait froid, la nuit s’étend devant moi et je ne dormirai pas assez. Cet après-midi je me suis endormie sur le canapé du local du BDA, je me suis calée entre les coussins, les manteaux, près de fx et de Cécilia qui surveillait, je me suis endormie comme une gamine épuisée. Je vais à l’école pour dormir. Je vais à mes cours et tout se passe à merveille, le projet défendu ce midi plutôt réussi, cette multitude d’engagements sur la Journée Dédicaces, Artmaniak, NonFiction, les textes à écrire, les personnes à rencontrer. Peut-être que ce sont des choses qui me gardent accrochée, des choses qu’on fait sans se poser de questions, mais il va bien falloir retrouver aussi les sensations, le corps engagé, le corps sollicité, les yeux ouverts sur les couleurs, les peintures, la ville – les livres, les films – le corps suffisamment solide pour accompagner ma jument. Seule, je dois me reconstituer. Reprendre possession de chaque parcelle. Toucher, voir, sentir. Il faut que mon corps reprenne son existence, qu’il se sente battre. Il faut ça avant de penser à m’ouvrir aux autres, avant de penser à quelqu’un d’autre. L’oubli de son corps à lui, et la reconstruction du mien. Lui et moi nous n’avons plus rien à nous dire. Plus rien à faire ensemble. Quelque chose peut-être à reconstruire, de zero, dans quelques mois. Je ne regrette même plus cette rencontre ratée, cette histoire saccagée, je ne regrette plus rien – quelqu’un qui est capable de m’abandonner, de refuser de m’accompagner, de fermer les yeux devant ses responasbilités, quelqu’un qui préfère me dire bien en face : « je ne te répondrai pas et je serai un salaud » – alors c’est quelqu’un qui n’a pas le courage que je réclame. Il n’y a pas de solution miracle pour que j’aille mieux, il n’y a pas à attendre que par simple décision je puisse me sentir mieux demain. Tout ce que je ne réussis pas, tous ces échecs, tous ces dérapages, c’est une douleur pour moi autant qu’une colère pour lui. Douleur et colère qui aveuglent. Je ne voulais pas perdre de vue les très belles choses à vivre encore, ensemble. Je ne voulais pas oublier la très grande beauté de l’amour fou partagé cet été. Ce soir j’ai effacé tous les espoirs, ce soir je l’oublie, ce soir il a dit que je lui faisais peur, que j’étais folle, ce soir il m’a totalement abandonnée. « Débrouille toi ma belle dans ta tristesse engluante, débrouille toi dans tes pleurs ininterrompus, débrouille toi parce que moi je ne veux plus reparler de ce qui fait mal, de l’abandon dans lequel je t’ai plongé ». J’aurais aimé avoir en face de moi un garçon qui assume.

Je suis vide. Je suis anesthésiée par la douleur. Je ne ressens rien. Même la fatigue ne m’atteint plus. Je cherche seulement l’appui qui me permettra de remonter, je cherche une raison, un motif, je cherche une envie de me battre, et à reconnaître mon corps.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire