samedi 21 août 2010

En perdition.

Il est 2h, je crois. Je me lève à 6h45. Il faudrait que j’écrive mon exposé d’allemand. J’écris, je bois du thé vert, je lis. Ca a l’air très bien Le Canapé rouge de Michèle Lesbre. Le jour où je créerai ma maison d’édition, je ferai des livres aussi jolis que ceux de Sabine Wespieser. Et je publierai les textes de Jérôme. Et des textes de femmes. On avait dit ça un jour avec Mathilde, qu’on publierait des textes, des dessins, des poèmes. Ca s’appellerait même les Editions du Vieux Colombier. Décidément.

C’est un peu étrange en ce moment. Je pleure sans cesse, je me sens triste et abattue souvent. J’ai dit à mon gentil chéri de ne pas venir à Paris pour me voir. J’ai dit à Guillermo qu’il faisait trop froid pour que je mette un pied dehors. Je suis bien enfermée ici. Il y a des livres. Il y a toujours Le Patient anglais pour les après-midi trop longues. Il y a du chocolat noir. Il y a Pink Floyd et Led Zep. Il y a des pulls et des écharpes en laine. Pas envie de foutre un pied dehors bon Dieu. Pourtant demain je me lèverai à 6h45, je m’habillerai bien comme il faut, j’irai bosser toute endormie, les yeux gonflés, la peau blanche, les mains et les lèvres sèches. Novembre glacial et toujours le manque de ses bras. J’aimerais ne plus être triste. J’ai moins mal. Au quotidien. Je fais tout bien comme il faut. Un peu débordée, mais bien comme il faut. Sauf que je ne suis pas très heureuse. Sauf que je pleure à chaque fois que je parle de ça. Au téléphone, dans les cafés, en parler me fait encore pleurer. Mon père est affolé depuis la nuit où il m’a vue plongée dans cette douleur. Il était 3h peut-être. J’ai dû le réveiller à force de pleurer et de crier. Il m’a vue. Assise par terre dans la cuisine. Prostrée. Nuisette, épaisseurs de laine, visage ravagé. Il a vu mes poignets rouges à force d’avoir arraché la peau. Je voulais me faire du mal. Je voulais arracher jusqu’à ce qu’il me rappelle, jusqu’à ce qu’il revienne. Je voulais savoir jusqu’à quel point aller avant qu’il ne soit là. Frotter la peau de mes ongles. C’était tout rouge. Ca commençait à saigner. C’est quoi qui fait le plus mal : la douleur dans mon ventre ou la douleur de la peau éraflée ? C’est tout pareil. C’est cette immense douleur diffuse, qui fait moins mal au quotidien, qui explose parfois dans des crises, et je ne sais pas s’il comprend, s’il comprend à quel point j’ai mal. Je ne sais même pas si mercredi il a compris. Je lance des signaux. Il ferme les yeux. Il creuse un peu plus la blessure parfois. Il ne se rend pas compte.

Je n’attends rien de lui. Attendre encore c’est s’exposer à de nouvelles déchirures. Je n’attends rien mais j’ai mal. J’ai besoin des mots de Jérôme. J’ai besoin de pleurer dans les bras de Virginie. De parler à Emilie. D’appeler Florian. J’ai besoin de tant d’alliés. J’ai pas besoin des regards des garçons. Il faudrait sans doute que je parte, que je me mette des couleurs dans les yeux, que je traîne au Grand Palais et puis dans les librairies, il faudrait que je parte m’abrutir au travers du voyage, de la perte de repères, il faudrait que j’oublie la douleur en m’attelant à d’autres constructions. J’aimerais bien partir vivre à Londres quelques mois. C’est terrible de savoir que ces possibilités là sont fermées maintenant. Noroise me retient ici. Je me souviens du jour de mes vingt ans, elle était venue vers moi avec un licol bleu, et je ne comprenais pas, pourquoi on avait sorti la pouliche de son box, et je buvais mon kir avec tout le monde sans vraiment comprendre – on m’avait tendu les papiers alors et à côté du nom de la jument : Noroise de Bremoiselle – il y avait le nom du propriétaire : Marie P. Tout le monde savait depuis des mois. Tout le monde avait tenu sa langue. Et moi j’ai rien trouvé de mieux que de me mettre à pleurer. Comme d’habitude. Comme tous les jours, presque. J’étais débordée de joie, c’était elle, c’était ma jument rêvée de toujours mais au même instant j’ai compris que je devenais prisonnière. Responsable et engagée. Partir à l’improviste, partir sans prévenir, m’enfuir un mois, deux mois, retourner vivre à l’étranger, vouloir d’autres continents – je venais d’avoir vingt ans et toutes ces choses m’étaient interdites.

Je me console en lisant Aden Arabie et en croyant Nizan qui écrit que le voyage ne guérit de rien, qu’on y retrouve la même lassitude, le même ennui, le même dégoût. Le voyage n’est qu’un écart temporaire, mais rien ne change réellement.

La douleur précise, aiguë et acide est partie. Il ne reste que la douleur diffuse, stagnante, la douleur douce. Il n’y a plus d’accroc. Il n’y a que le temps qui passe. Quinze jours qui s’en vont, et ce sera déjà mieux à ce moment-là. Il faut que j’oublie petit à petit. Que les souvenirs s’effacent. Tout est encore trop précis. J’attends que son visage devienne flou. J’attends d’être happée par quelqu’un d’autre.

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