Je suis passée ce matin entre deux averses sous ses fenêtres. La lumière de la chambre de sa soeur était allumée. J’avais l’image de lui penché à la fenêtre, me regardant, un soir de juillet, à peine rentré de Normandie, il m’attendait en fumant. Je lui parlais au téléphone en souriant depuis la rue. Un étage à grimper pour le retrouver.
jeudi 30 septembre 2010
vendredi 24 septembre 2010
Illusions des refuges.
Je trouve enfin le temps d’écrire. Dans ma chambre de petite fille, sous les combles de la maison, en écoutant Joy Division, Hooverphonic, Led Zeppelin and so many things else. Depuis une semaine je danse presque chaque nuit. Je fume, je bois du vin blanc, du vin rouge, du punch, des whisky coca, des litres de thé vert et des cafés après le déjeuner. Je me couche à 3, 4 ou 5 heures et je dors le matin. L’après-midi aussi entre deux cours, ou dans les trains. Je suis fatiguée, mais je crois que je suis heureuse. Je souris, en tout cas.
De Lyon je retiens les rues étroites et pavées, les ponts sur le Rhône, les petits restaurant cachés, les amphithéâtres romains, les chorégraphies de Sidi Larbi Cherkaoui et les images en noir et blanc de Control. Tout ce temps passé avec Laura à discuter en buvant du thé. Les lèvres d’un amoureux. En rentrant à Paris j’ai retrouvé des alliés, avec J nous avons pris un café – Dieu me pardonne d’avoir mis les pieds dans un Starbucks à Paris ! – et j’ai pu tout avouer, tout dire sans gêne, sans honte, sans paraître folle, sans être incomprise – deux jours plus tard c’est H que j’écoutais me dire la honte, l’humiliation, la violence de ceux qui ne nous aiment plus et qui sans s’en rendre compte brûlent nos coeurs, oppressent nos poitrines, font venir l’envie de vomir. Ces conversations sont lentes, compliquées, éprouvantes. Je comprends tellement ce qu’on me dit, je me souviens encore si parfaitement de chaque blessure, de la chair écartée, des mains qui creusent dans la plaie béante, de la douleur ravivée – et pourtant, les bords cicatrisent, la chair se referme très doucement, les rives se rapprochent. Il y a encore des larmes dans mes yeux, il y a encore quelques crises parfois – ce ne sont que des réactions à la violence, à la douleur, à l’égoïsme des garçons qui décident à notre place que les aimer est désormais interdit.
Lorsque je me réfugie dans les boîtes de nuit, les bras des garçons, les sourires que je connais par coeur – je sais que c’est une façon d’oublier, de me mentir et de faire illusion. Me croire belle et désirée alors que mon amant a disparu. Sentir les regards. Sourire sans la moindre innocence. Je sais que les heures passées à danser sont aussi une voie pour retrouver mon corps, sentir quelque chose, un mouvement, le corps qui s’exprime, l’énergie aussi que je mets à danser jusqu’à l’effacement de mes talons sur le sol, le défoulement. Mes garçons sont là, mes amies me protègent, rien ne peut m’arriver et je fais attention à moi. Je suis sur mes gardes, j’essaie de trouver le juste équilibre entre me protéger et aller de l’avant, je voudrais seulement éviter de faire n’importe quoi avec n’importe qui pour la fuite en avant, et tout à la fois je dois laisser une chance aux hasards. Cet après-midi mon jeune chéri dans les jardins du Luxembourg, je me sens bien et je souris et je me réfugie dans ses bras – mais je suis encore ailleurs, je ne suis pas entièrement disponible, je ne me livre pas. Peut-être que du temps doit passer, peut-être qu’il faut avoir confiance, peut-être lui donner une chance avant de tourner les talons.
Comprendre que l’amour fou n’est pas la norme, que les histoires exceptionnelles sont rares, que la passion ne peut pas exister tous les quatre matins ni à chaque coin de rue. Il faut recommencer les tâtonnements, il faut faire du chemin seule réconciliée et rassurée, il faut garder la disponibilité tout en maintenant la protection – il faut se battre, comme toujours se battre, se battre pour aller bien. J’aimerais simplement prendre des bains parfumés, faire des gâteaux au chocolat, lire le matin nue sous le drap et monter Noroise. Oublier les garçons, quelques temps, puisque je n’arrive pas à faire semblant d’accepter un autre corps que celui d’Henri. Lundi soir en faisant l’amour j’ai pleuré tout ce que j’avais retenu depuis des jours, ça n’était pas mon amant entre mes cuisses, ça n’était pas sa peau ni son corps ni son sexe – je ne peux pas faire semblant. C’est un autre que mon corps réclame, encore. C’est un autre pourtant que je ne réclame plus, qui ne me manque plus, à qui je n’écris plus – mon corps seulement n’est pas redevenu un champ libre, il garde l’empreinte de mon amant.
dimanche 19 septembre 2010
London calling.
London calling.
Assez de vouloir dire si je suis heureuse ou pas, si je vais bien ou pas, assez de ces mots là qui ne font pas sens, assez de vouloir savoir si je m’en suis sortie, ou pas – c’est tout à la fois, c’est un matin l’angoisse et un soir la légèreté, c’est un grand creuset en moi pour tout recueillir – la fatigue de toutes les nuits trop courtes, le bonheur immense de trouver autour de moi des alliés si rassurants, l’amour fou, le dégoût, la colère, l’angoisse violente. Je croyais aller mieux. Je disais : oui voilà je suis sortie de la rupture. Je me sens plus sereine. Je ne pleure plus chaque nuit. Nos crises se sont espacées, nous n’avons plus la force ni l’un ni l’autre de nous perdre dans ces affrontements. Mais hier soir dans la grande maison superbe cachée au fond de l’allée – indécente de tant d’élégance au coeur de Paris, à quelques pas de l’église d’Auteuil, chez moi il y a quelques années – j’ai senti que la vodka allait me rendre triste. J’ai senti l’énorme pieuvre de la mélancolie venir m’agripper le coeur, plonger dans la masse rouge pour attraper les fibres, serrer, presser, comprimer – j’ai fini par avoir tellement mal, et le regarder lui si jeune, la peau si claire, les cheveux si foncés, les mêmes remarques, le même humour noir, il parle de son ami mon amour à Londres, et moi ça me chavire, moi ça me blesse et c’est une lame de plus plantée dans mon coeur masse palpitante qui saigne saigne saigne – ça se referme parfois, ça cicatrise, et de mieux en mieux la plaie s’assèche, mais encore de temps en temps lorsque je vais trop loin dans les rires, lorsque j’ai les veines parcourues par le liquide sans couleur qui a brûlé la gorge au moment de tout avaler sans reprendre ma respiration, je sens la tristesse morbide s’amarrer et sucer ce qu’il me reste d’énergie pour faire semblant – alors je m’assois sur un canapé parmi d’autres, je regarde les catalogues d’expos posés sur la table du salon, Klimt, de l’art contemporain, et bien sûr je tombe sur le livre consacré à Monet, Whistler et Turner – à Londres le mois dernier avec lui j’ai vu les aquarelles de Turner, toutes les aquarelles de Venise, et personne n’a vu comme l’eau des aquarelles venait à mes yeux, dans le salon enfumé, rempli de rires, personne n’a vu.
Je me sens mieux et puis ce matin, en me levant à 6h45, j’ai senti les larmes dans mes yeux, les larmes du sommeil, celles qui gonflent les yeux. L’angoisse était là, revenue, tapie, je voulais ses bras pour me rendormir, son odeur et sa peau contre moi, je pleurais et j’avais mal dans la poitrine, lui lui lui que je voulais immédiatement pour me redonner confiance, pour me faire affronter la journée, tout de suite je lui ai écrit j’ai dit le mal la souffrance et il a été là, si doux, si parfait comme je l’aime, et je sais que je n’arrête pas de l’aimer, que si des choses sont abîmées parce que nous nous sommes fait du mal au travers de la rupture, mon amour ne s’interrompt pas. C’est terrible. J’aimerais qu’il y ait une solution, j’aimerais ne plus l’aimer, ne plus connaître ces crises d’angoisse, j’aimerais penser à mon amoureux en balade dans le Sud et ne pas attendre le retour de mon amour londonien – pourtant je le lui ai dit : peut-être que je n’arrêterai pas de l’aimer, peut-être que dans cinq mois je serai là encore plongée dans l’attente et l’espoir, mais quelle horreur, pourquoi est-ce que je ne peux pas accepter qu’il ne soit plus là, qu’il ne m’aime plus, qu’il m’ait quittée ? J’aime malgré lui, j’aime malgré moi, j’aime contre ma propre volonté et tout m’échappe.
Autrement, dans la nuit obscure de l’écriture, j’écoute Led Zep, Joy Division, The Clash. Oui d’accord j’ai Londres dans la peau. London is calling.
lundi 13 septembre 2010
Reprendre des forces.
Avec ma soeur on fait un concours de ressemblance : six années entre elle et moi mais le même jean straight, les mêmes pulls bleus en laine mérino, les vestes courtes évasées aux manches larges puis resserrées. Les mêmes cheveux très longs, seule la couleur change, et je crois que bientôt j’aurai encore envie de me teindre en acajou (c’est la même chose chaque année au mois de novembre). Je regrossis un peu, mon corps reprend les formes que je n’aime pas, mon frère trouve toujours que j’ai l’air sur le point de me briser, mais moi je sais que j’ai repris des forces. Des forces je suis obligée d’en avoir pour monter Noroise, demain matin je l’emmène à son premier concours. J’ai peur ? Oui sans doute, mais je ne le sens pas encore. Cet après-midi pendant trois heures j’ai préparé son filet, ses protections, j’ai natté sa crinière, graissé ses pieds, usé toutes mes brosses. Elle était tellement belle ma folle chérie, avec son alezan brûlant vif et soyeux, elle était douce elle m’écoutait parler pendant que je tressais ses crins, et puis elle a fini par ressembler à un vrai cheval de sport. J’aurai la peur nouée au ventre demain en découvrant le parcours, en montant la première sur son dos, en me lançant sur la carrière. Capable d’être tout à la fois si parfaite – si folle. Quand je dis qu’elle et moi nous ressemblons…
Je me sens un peu plus forte parce que la douleur passe, parce que mes amies m’ont portée à bout de bras pour que je garde la tête hors de l’eau ; maintenant je suis capable de rester seule à la surface – oh j’ai encore voulu me jeter par la fenêtre vendredi matin mais ce sont des crises qui s’apaisent vite, pour peu qu’Henri réponde encore présent – et je deviens le soutien de mes amies puisque l’automne s’acharne à détruire nos coeurs, il y a aussi les alliés récents et le désir marqué dans les yeux de certains garçons qui comptent – ceux qu’une petite amie retient, ceux que je connais depuis trop longtemps, ceux que je découvre au hasard des rencontres -, il y a tout simplement ce retour à la vie grâce aux projets, aux amis, aux rencontres. Ca ne remplace rien de l’amour perdu mais ça m’empêche très simplement d’y penser. Parfois la nuit je m’évade, je retrouve le souvenir de mon amour, l’impasse des quatre vents, la place Clichy – tu étais arrivé tellement en retard ! – le bain un dimanche matin après les pains anglais tartinés au beurre et à la myrtille, mon Dieu ces moments là que je voudrais revivre avec toi, cette obstination à vouloir te retrouver, ne pas être capable de te croire quand tu dis : « je ne t’aime plus » – oui j’avance et je m’éloigne et je construis seule – quand j’aurais voulu construire avec toi, jusqu’à céder une part de ma liberté – j’espère partir suffisamment loin de toi pour ne plus t’aimer lorsque je te reverrai, mais peut-être que ça ne sera jamais possible. Peut-être. Je n’en sais rien. Je me concentre sur le reste. Je place des espoirs dans la multitude de spores disséminées, je me fonds, je me disperse, je me divise – pour ne plus sentir la douleur concentrée, la douleur du ventre, la douleur de la peau.
lundi 6 septembre 2010
la fêlure.
aucun mot. silence. vide. ouate. murmures. fracas. bouillonnement. explosion. déflagration. liberté, retrouvée. renaître. vide, vide, vide. effacer ce qu’on ne veut pas garder. se souvenir du plus beau. de l’amour absolu. hors des conditions. vivre sans conditions. exubérance de l’amour. folie de l’amour fou. blessée. détruite. vidée. renaître. trembler. peau transparente trop légère. mains fébriles. corps. quoi, dans mon corps ? je ne sais pas. vide. les mots n’ont plus d’ordre. bousculade dans ma bouche. mots, langue, lèvres. Alix Cléo. Sylvia. vouloir mourir, non pas les cachets, ne pas les avaler, penser à Maman qui pleurera. lui il ne saura même pas. abandon. démission. douleur. tristesse. deux mois. perdue. douleur présente, diffuse, continue. folie. au bord du gouffre. rebord de la fenêtre. faire l’amour pour oublier c’était nul. alcool. sommeil. corps plus alimenté. courbatures. corps fatigué. petite fille. douleur. tristesse. mal dans le ventre, vomir, tuer la souffrance en se tuant. creux des nuits. tu m’ignores, tu m’aimes, tu me méprises, tu me crains, tu me respectes, tu tiens à moi ? souvenirs entassés, souvenirs éclatés, souvenirs en feu d’artifice, souvenirs pour survivre. la mémoire sauve. agripper le passé. quand plus de futur. vide. vide. vide.
il faut que j’écrive une lettre d’amour.
mercredi 1 septembre 2010
Mon amour.
Mon Amour,
Parce qu’il ne faudra sauver que ça, parce qu’il ne faudra garder que ça, et parce qu’on fait le choix de ses souvenirs.
Te souviens-tu mon amour de notre rencontre, du rendez-vous anonyme auquel tu avais eu le cran de venir ? Un soir de juin à Mabillon, tu avais été à peine surpris de me voir apparaître, nous nous étions engouffrés sur le boulevard, déjà le bonheur délicat et discret de se trouver ensemble. J’ai bu du vin blanc et toi du vin rouge. Tu m’as parlé du poker, de tes cours, du piano, de la musique classique, de ta rue, de ta famille, d’un voyage dans les Alpes, et je souriais sans cesse en te parlant de ma jument, de l’écriture, du violoncelle, et nos attitudes qui se ressemblaient tant, et tout ce que je commençais à aimer en toi. Mon amour. Tu avais l’exigence qu’on ne rencontre jamais chez les garçons si jeunes. Tu étais magnifique de ta jeunesse, et tu semblais tellement plus engagé qu’eux. Tu étais passionné, absolu, intransigeant, drôle, trop doué à cet âge là. Je n’en pouvais plus de t’écouter. La nuit n’aurait pas dû s’arrêter. J’en voulais à la nuit de nous séparer. Devant le métro tu ne m’abandonnais pas, tu tenais mes mains, et déjà l’impatience de se revoir le lendemain. Se quitter était une douleur.
Dans une cave sombre d’un bar où nous connaissions tout le monde – tout à la fois plus personne – tu m’as embrassée. Non. Tu as écrasé tes lèvres contre les miennes. Ta main est venue dans mon dos me faire ployer contre ta poitrine. J’ai cédé. Je me suis donnée. Immédiatement, j’étais donnée, j’étais tienne, j’étais sans liberté, j’étais ton amante, ton amoureuse, ta femme, ta chérie, je n’existais plus que dans tes bras. Tu m’as suivie, avec ta belle confiance tu m’as suivie, au travers des metros, ta veste de velours et mon trench trop grand. Dans mon appartement. La porte refermée. Tes mais me cherchent, tes mains me déshabillent. Tes mains dégraffent mon soutien-gorge. Tes mains caressent mes seins. Jusqu’aux draps, jusqu’à ton corps allongé sur le mien, ta langue en moi et mes mains sur ton sexe, ton sexe qui vient en moi, la première fois que tu découvres mon corps, tu jouis si vite en moi et je t’aime, à la folie je t’aime, je ne veux plus jamais la séparation, mon corps est sous ton emprise, je n’en peux déjà plus de tant t’aimer, je suis heureuse je déborde d’amour et je tiens ta tête sur ma poitrine, et je te caresse mon amour, et lorsque je m’endors tu me regardes avec mes yeux fermés mon visage reposé ma béatitude de femme amoureuse et aimée. D’autres fois dans ce lit, lorsque nous revenions de la place Clichy, ce lit où nous apprenions l’amour ensemble, l’amour unique que je ne partagerai plus jamais, l’amour comme une découverte, et tes mains qui ont appris mon corps par coeur, tes mains qui m’ont fait jouir, ton sexe dans ma bouche, et tes lèvres dévorées, ta nuque adorée, ton corps entier embrassé, ta peau blanche blanche blanche et je te trouvais si beau. Aujourd’hui encore sans t’avoir vu depuis deux mois, je me souviens de chaque morceau de ta peau, et je t’admire, et je te désire. Puissance des souvenirs.
Un soir je suis venue te retrouver à Saint Germain. Nous étions seuls à partager ton appartement. Nous y avions déjà fait l’amour un matin alors que ta soeur se trouvait dans la pièce d’à côté. Mon Dieu. Tu étais aussi fou que moi mon amour. Le samedi soir tu m’attendais en fumant, tu m’as déshabillée, tu m’as entraînée vers le lit de tes parents, tu m’as fait l’amour tant de fois, j’aurais pu être évanouie dans tes bras, j’étais perdue, perdue en toi, amoureuse, tellement amoureuse, je ne voulais plus jamais te quitter. La douleur de se séparer à chaque fois. Les pleurs le 13 juillet parce que tu ne répondais pas. Les pleurs de te savoir parti en Normandie. Je ne supportais pas ton éloignement. Je ne supportais pas tes silences. Tu repartais à 6h du matin, je t’écrivais à 6h10. Cette nuit dans le lit de tes parents j’ai aimé à la folie ton sexe qui entrait, venait, se retirait, me reprenait, l’amour fou, l’amour fou, comme je t’aimais. M’endormir dans tes bras. Epuisée de tout cet amour. Tu as voulu me réveiller, encore, plus tard, tu traînais dans ton appartement et moi je dormais, tu as voulu me réveiller mais je dormais et tu m’as laissée dormir occupé à me regarder… Dans le lit on a tellement ri. Le matin ? Tu m’as emmenée petit-déjeuner dans la cuisine. Cuisine froide, vide, mais tu étais là, tu faisais chauffer le thé – thé vert volé à ta soeur -, le café, et des pains anglais, et du beurre, et de la myrtille, et bêtement tu faisais des tartines et je te regardais et je t’aimais et je mangeais mes tartines. Tu m’as déshabillée à nouveau. Le gilet, la nuisette. Nue à nouveau, tes bras, me reprendre, m’aimer, me désirer toujours. J’ai pris un long bain. Je me suis ébouillantée. Peau rougie. Nous sommes allés déjeuner au Vieux Colombier. J’imaginais déjà que nous habiterions ensemble, l’an prochain, dès ton retour, à la Madeleine. Je voulais rencontrer ton grand-père. Mon Dieu, ma vie était là offerte, donnée, je ne m’appartenais plus. Folie.
Lorsqu’on dînait chez Al Dente, tu commandais du prosecco et tellement de vin que je disais plein de bêtises. Tu n’écoutais pas, tu m’interrompais en m’embrassant. Tu regardais mes lèvres, mes seins. Tu étais fou de moi. Tu rentrais et tu écrivais : mon amour, je tombe amoureux de toi, c’est trop parfait, je ne peux pas parce que je m’en vais. Mais j’avais tellement confiance en nous. Tellement confiance en notre amour. Quelle importance que tu t’en ailles à quelques heures de train, je m’imaginais venir chaque mois, te retrouver, t’aimer, t’apporter le bonheur de notre amour, t’accompagner. Tout me semblait facile, évident. Je n’ai jamais vu la difficulté. Je ne comprenais pas tes réticences. En sortant du restaurant dans la rue devant les flics on s’embrassait, on passait nos mais sous les pulls, on se touchait, tu écartais mon soutien-gorge, tu déboutonnais mon jean. En pleine rue, mon amour.
Au tout début de septembre, tu es venu à Paris. Je portais la robe rouge en laine. Les chaussures gris souris à très hauts talons. Je t’attendais devant l’église de Saint Germain. J’attendais mon amour, la seule personne que je verrais parmi la foule, la seule personne à habiter mes yeux, à peupler mon existence. Tu remplissais mes jours, mes nuits. Tu es arrivé en traversant le carrefour, ton costume parfaitement coupé, la chemise à rayures bleues et blanches, l’élégance insolente de tes dix-neuf ans, nous avions l’arrogance des amants, le monde à nos pieds, nous avions l’impertinence que donne l’amour, nous étions seuls à Paris, seuls dans la ville, seuls dans les cafés, nous étions amants. Tu m’as emmenée au Flore. Je refusais d’y mettre les pieds. J’ai adoré y boire du vin blanc, du thé glacé. Tes yeux dévoraient mes seins. On fumait des Dunhills, des Lucky, on fumait tout le temps et on adorait ça. Dans l’impasse des Quatre Vents, tu m’as appuyée contre un mur, tu as ouvert mon jean, relevé ma robe, tu as glissé ta main et je me suis évanouie de toute cette jouissance. Je tombais dans tes bras. Tu me retenais, tu murmurais « ma chérie ». Ta chérie, oui. Je ne vivais plus que pour toi. Alors quand tu m’as quittée, je ne vivais plus.
Je ne vivais plus, et je ne sais pas si je vis à nouveau. Il paraît que oui. Il paraît que l’amour n’est pas tout. Il paraît que je ne dois pas me laisser abattre. Il paraît que je dois être forte, avoir confiance, laisser le temps faire son oeuvre. Moi je ne me sens plus exister, mais d’accord. Je ne me remettrai jamais de l’amour disparu, du plus bel espoir de ma vie réduit en morceaux, détruit pour une raison qu’on ne connaîtra jamais. Le champ des possibles s’est refermé. J’ai été heureuse à l’infini ; je ne le suis plus du tout. Je suis triste, j’ai mal, je t’aime, tu n’es pas là, tu es absent.
A Londres encore, alors que soi-disant tu ne m’aimais plus, alors que tu m’avais quittée, alors que tu étais gêné par le moindre frôlement de mon genou contre ta jambe – tu m’as fait l’amour comme personne ne connaîtra jamais. Ton sexe dans ma bouche, ta bouche entre mes jambes. J’ai bu ton corps entier. La jouissance dans ma bouche. Qui saura ça, qui saura un jour la jouissance de toi en moi, qui saura le plaisir innommable, l’abandon indicible, le désir irrépressible, la perte en toi ? Et tu ne m’aimais plus ? Tu m’aimais. Tu avais peur de mon amour fou mais tu m’aimais. Tu me déshabillais. Tu voulais mon corps. Tu dormais encore, et ton corps me réclamait. Ton désir appuyé contre moi dans les draps le matin très tôt, malgré toi tu me voulais. Ensemble nous avons marché dans Londres, regardé les Rothko et les Newman, mangé des machins caribéens et libanais, ri avec Silvia et Feder, et je crois qu’on s’aimait. Je crois que le souvenir de ce moment de l’amour ne s’effacera jamais. Que tu ressentiras toujours cet amour comme je le ressens. Je pense aussi aux conversations la nuit, les conversations écrites, celles qui nous faisient jouir quand la distance nous séparait, quand je réclamais ta bouche sur mes seins, ta main en moi, tes lèvres, ton visage, tes cils plus longs que les miens, ta bouche rouge, ta peau blanche, tes hanches marquées de stries plus claires, ton ventre fin et creux, ta poitrine pour y dormir, tes bras pour m’y engouffrer, mon amour tu me manquais tant, mon amour j’étais hystérique la nuit sans toi, et je te voulais, je te réclamais, je voulais te rejoindre.
Dans ton ordinateur il y a des photos de moi nue. Au pied de ton lit il y a Le Rouge et le noir. Quelque part une lettre de moi. Dans ton agenda, j’ai marqué chaque date importante. La lettre porte mon parfum que tu respirais en fermant les yeux. Et moi je me souviens encore de l’odeur de ta peau. Je regarde chaque homme en pensant à toi. A l’élégance et à l’exigence qu’ils n’ont pas. Au regard qu’ils me portent et qui n’égalera jamais le tien. Je vivais dans tes yeux. Je vivais dans notre amour. Tout le reste venait ensuite, légèrement, simplement, tout le reste suivait. Je t’aimais, tu m’aimais, rien ne pouvait nous arriver. J’étais inatteignable. J’étais intouchable. J’ai oublié que l’attaque pouvait venir de toi.
Mon amour, tu as été le garçon le plus exceptionnel de mes années d’amour. Tu as été le dépassement des idéaux qui me nourrissaient. Tu as été ma plus belle passion. Ma vie, mon amour, ma douleur. Je t’ai aimé, je t’aime encore, je serai toujours ton amoureuse, ton amante, la première femme à t’avoir aimé. Je ne me sentirai jamais appartenir à quelqu’un d’autre. Je n’appartiendrai plus à personne. Je me suis donnée à toi, et tu ne m’as pas rendue à moi-même. J’écris des choses folles, je suis folle, folle de toi, je suis névrosée si tu as envie de prononcer ce mot-là. Je sais que je ne fais que t’aimer.
Parce que je t’aime mon amour, je te laisse t’en aller. M’abandonner. M’ignorer. Je te laisse tout emporter, tout détruire, je te laisse mon bonheur pour que tu trouves le tien. Je te laisse m’oublier et être heureux au travers de cet oubli. Tant pis si je suis triste pour toujours, si je n’oublie pas ton corps, si je rester marquée au fer rouge par toi et ton amour. Tant pis. C’est mon dernier don pour que tu sois heureux. Mon amour. Personne ne t’aura jamais aimé comme moi. Je resterai la seule à t’avoir aimé. Je suis l’amante éternelle du sommeil et des souvenirs que l’on n’effacera pas.